Sélection de la langue

Information archivée

L'information dont il est indiqué qu'elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n'est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n'a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

Rapport de la commission d'évaluation environnementale - Projet Voisey's Bay

12 L'environnement et la faune terrestres

La VBNC a désigné trois composantes valorisées de l'écosystème pour l'environnement terrestre. Ces composantes, dont traite le présent chapitre, sont :

  • les communautés végétales, qui forment la base de l'habitat faunique;
  • le caribou, considéré comme la ressource faunique terrestre la plus importante du secteur et une composante essentielle du régime alimentaire des Inuit et des Innu;
  • l'ours noir, parce qu'il est couramment observé et chassé et qu'il revêt une importance culturelle et spirituelle (la VBNC considère l'ours noir comme une espèce parapluie, dont l'abondance est un indicateur de la santé d'autres espèces qui font partie de la chaîne alimentaire).

Les effets potentiels du projet sur la chasse autochtone et sportive sont examinés au chapitre 14.

La Direction générale des forêts et de la faune, du ministère provincial des Richesses forestières et de l'Agroalimentaire, gère les ressources forestières en vertu des pouvoirs que lui confère la loi provinciale sur les forêts. Elle assume en outre la responsabilité de la gestion du caribou et de l'ours noir en vertu de la loi provinciale sur la faune. La Direction générale est aussi responsable de la protection et de la lutte contre les incendies de forêt. Son bureau de la rivière Northwest est celui qui se trouve le plus près du complexe minier que l'on propose d'aménager. Les activités du projet ne sont pas sujettes aux exigences liées à la délivrance de permis ou à la surveillance de la conformité relativement leurs effets sur les communautés végétales ou la faune, à l'exception des conditions de reverdissement qui pourraient être incluses dans le bail minier. Le Comité sur le statut des espèces menacées de disparition au Canada désigne les espèces de la flore ou de la faune à protéger et les classes selon trois catégories : en voie d'extinction, menacées ou vulnérables. Aucune plante et aucun mammifère terrestre de la zone d'évaluation n'ont été désignés comme appartenant à l'une de ces catégories.

12.1 Les communautés végétales

12.1.1 Évaluation de la VBNC

La VBNC a délimité pour les communautés végétales un secteur d'évaluation de 35 000 hectares correspondant en gros au lot de concessions minières. Pour fournir une description détaillée des communautés végétales et des différents types d'habitats terrestres de la région de Landscape, la VBNC a effectué un relevé écologique du territoire, selon une classification fondée sur la forme de relief, le climat et la végétation. La première classification écologique des terres a permis d'établir cinq régions paysagères, c'est-à-dire des zones du territoire qui partagent des climats régionaux distincts et des types de végétation dominants, dans la région de Landscape. La VBNC a produit l'information sur les communautés végétales de la zone d'évaluation en utilisant le niveau inférieur de la classification des terres, soit le type de terrain, pour obtenir le plus de précisions possible. Elle a effectué des levés sur le terrain pendant chacun des étés entre 1995 et 1997 et elle a cartographié les communautés végétales à l'aide de photographies aériennes.

La VBNC a relevé 17 types de terrain dans le secteur d'évaluation. Environ 65 pour cent du secteur est boisé (les espèces dominantes sont l'épicéa, le sapin et le bouleau, de même que les lichens et les sphaignes), mais cette superficie englobe toutefois des fourrés et des tuckamores. Près de 26 pour cent du territoire est couvert de roche, de gravier, de toundra et de landes côtières. Le reste est constitué en grande partie de terres humides de divers types. Ces communautés devraient rester relativement stables à long terme. La saison de croissance est courte, et le rythme de croissance et le cycle des substances nutritives sont lents. On évalue que les cycles de rotation d'incendie sont d'environ 500 ans.

La VBNC a constaté que le projet pourrait avoir sur les communautés végétales les effets éventuels décrits ci-après. On observerait une perturbation du milieu physique et une perte d'habitat causées par la préparation du site, l'aménagement des installations de surface et l'exploitation de la mine à ciel ouvert durant les phases de construction, d'exploitation et de désaffectation. Le projet, tel qu'il est conçu, exigerait le défrichage de 753 hectares, ce qui englobe l'inondation de 25 hectares au lac Headwater et de 155 hectares au North Tailings Basin. Tous les travaux de défrichage se feraient durant la phase initiale de construction, sauf dans le cas du North Tailings Basin. Environ 75 pour cent du secteur à défricher est un habitat boisé. On compte 17 communautés végétales dans la zone d'évaluation; le défrichage perturbera 5,4 pour cent de ces communautés, tout au plus. La circulation des véhicules tout terrain pourrait cependant causer des dommages supplémentaires.

On pourrait observer dans les végétaux une absorption de contaminants qui se manifesterait par une hausse des concentrations de métaux; la contamination résulterait de l'accumulation en surface de dépôts de particules ou de la présence de métaux dans le sol, absorbés par les racines. Les métaux présents dans les effluents liquides, les rejets atmosphériques et les retombées de poussières pourraient être libérés dans l'environnement à l'étape de l'exploitation et à l'étape de la désaffectation. Les possibilités de produire des rejets seraient supérieures à l'étape de l'exploitation de la mine à ciel ouvert. La VBNC prévoit que les concentrations de métaux prévues n'auraient pas d'effets détectables sur les lichens.

Les événements accidentels tels que les incendies, les déversements de combustibles et les bris de pipeline ou de digue dans les bassins de résidus pourraient porter atteinte aux communautés végétales. Le feu pourrait détruire des superficies considérables de forêts d'épicéas et de lichen, même si l'évaluation ne fournit pas de scénario traduisant la pire éventualité. La plupart des installations du projet seraient aménagées au fond de vallées, et le secteur entourant la mine, l'usine de traitement, le port, le chemin d'exploitation et l'aéroport est actuellement couvert en grande partie d'un boisé mixte d'épicéas, de sapins, de bouleaux et de lichen. Les marais salants sont particulièrement sensibles aux déversements d'hydrocarbures ou d'autres contaminants; toutefois, les marais salants les plus importants de la région, les Gooselands, ne seraient pas menacés, car aucun des réservoirs de combustible ne pourrait s'y déverser.

La VBNC prévoit que les activités actuelles et futures dans la région de Landscape, y compris l'exploration minière effectuée par elle ou par d'autres entreprises, n'auraient pas d'effets environnementaux cumulatifs détectables sur l'abondance des communautés végétales.

La VBNC a proposé les mesures d'atténuation suivantes :

  • repérer et éviter les types de terrain sensibles;
  • remettre en état les sols pour encourager la succession naturelle des espèces indigènes; établir et mettre régulièrement à jour un plan de remise en état;
  • élaborer un plan d'urgence en cas d'incendie et assurer une capacité d'intervention en cas d'urgence.

Les mesures concernant le transport atmosphérique des particules sont décrites au chapitre 5 : Qualité de l'air.

La VBNC prévoit que le projet aura les effets résiduels suivants :

  • perte mineure (non importante) de communautés végétales;
  • contamination mineure (non importante);
  • effets majeurs (importants) dus à un incendie, mais faible probabilité (non quantifiée) de cette éventualité.

12.1.2 Préoccupations du gouvernement et de la population

La Direction générale des forêts et de la faune de la province a déclaré qu'il serait nécessaire de maintenir un lien de communication avec le bureau de la rivière Northwest, pour assurer une capacité d'intervention efficace en cas d'incendie et la poursuite des activités de surveillance et de suivi relatives au reverdissement du secteur. La Direction générale a indiqué qu'en raison de la distance qui sépare le bureau du complexe minier, il y aurait un délai de réponse d'au moins une heure.

Un spécialiste qui représentait la nation Innu s'est dit préoccupé par la possibilité qu'une accélération du cycle d'incendie puisse se traduire par une diminution de la surface boisée et une augmentation de la superficie couverte par la toundra. Il a recommandé à la province de revoir la qualité des mesures d'urgence prévues par la VBNC en cas d'incendie. En accord avec un spécialiste qui représentait l'Association des Inuit du Labrador, il a aussi recommandé que les lichens fassent partie intégrante du programme de surveillance des effets, puisqu'ils constituent un élément important de la chaîne alimentaire, de même qu'un vecteur de bioamplification des polluants atmosphériques.

Conclusions et recommandations

La perte de certaines communautés végétales, et donc d'une partie de l'habitat, est une conséquence inévitable des travaux de construction. La proportion des communautés végétales détruites par les activités du projet dans la zone d'évaluation serait toutefois peu élevée. Après une certaine période, le processus de remise en état se traduirait par le rétablissement du couvert végétal dans la majeure partie de l'empreinte du projet, même si les communautés végétales ne seront peut-être pas les mêmes qu'auparavant et n'auront pas nécessairement la même fonction dans l'écosystème.

Les perturbations peuvent et devraient être réduites au minimum par l'imposition de restrictions adéquates concernant l'utilisation de véhicules tout terrain lorsque le sol n'est pas gelé.

Recommandation 51

La commission recommande que la VBNC élabore un plan de protection de l'environnement relativement à la perturbation causée aux communautés végétales et aux sols; ce plan

  • recenserait les types de terres sensibles et viserait leur préservation dans la mesure du possible;
  • limiterait le plus possible la circulation des véhicules tout terrain des routes désignées lorsque le sol n'est pas gelé, restreindrait cette circulation aux activités de surveillance essentielles, préconiserait l'usage d'hélicoptères pour les activités d'exploration et les travaux de construction en zones éloignées et permettrait l'usage de véhicules tout terrain lourds en hiver seulement.

Selon la commission, si des mesures d'atténuation adéquates sont prises l'égard des rejets atmosphériques (chapitre 5), le projet n'aura pas d'effets nuisibles de contamination mesurables sur les communautés végétales au-delà de la zone immédiate où seront menées les activités du projet. Par conséquent, la commission ne considère pas que la surveillance de la contamination des lichens doit constituer une priorité pour la VBNC. Une telle surveillance devrait être effectuée dans le cadre plus large du programme général de surveillance des contaminants, qui a fait l'objet d'une recommandation au chapitre 7.

La commission est d'avis que si l'on prend des précautions suffisantes et que l'on adopte des plans d'urgence, il serait peu probable que le projet soit à l'origine d'un incendie de forêt et que, le cas échéant, les dommages seraient peu importants, compte tenu du relief et de la configuration végétale de la zone du projet.

Recommandation 52

La commission recommande que la VBNC maintienne sur les lieux un équipement adéquat et assure une capacité d'intervention en cas d'urgence qui lui permettrait de lutter contre les incendies de forêt le plus rapidement possible afin de réduire au minimum tout dommage éventuel. La Direction générale des forêts et de la faune, du ministère des Richesses forestières et de l'Agro-alimentaire de Terre-Neuve, devrait être chargée d'examiner et d'approuver les plans.

Durant les séances visant à déterminer les problèmes et les priorités de l'évaluation environnementale, de nombreux Inuit et Innu ont exprimé leurs inquiétudes à l'égard des dommages causés par les activités d'exploration en général, notamment l'abandon des caches à carburant et du matériel d'exploration, le défrichage effectué sans discernement et l'usage abusif des véhicules tout terrain. Ils considéraient ces perturbations comme des effets importants du projet, déjà observables avant qu'on entreprenne la présente évaluation environnementale. La commission souligne que la province a modifié la loi sur les mines en 1995, pour mieux réglementer l'exploration minière et qu'elle surveille depuis cette activité sur le terrain.

Recommandation 53

La commission recommande que la province examine, en collaboration avec la nation Innu et l'Association des Inuit du Labrador, l'efficacité du nouveau règlement d'application de la loi sur les mines ainsi que de ses activités de surveillance pour ce qui est de déterminer les effets cumulatifs de l'exploration minière sur l'habitat terrestre et aquatique dans le Nord du Labrador.

12.2 Le caribou

12.2.1 Évaluation de la VBNC

La VBNC a réalisé 22 recensements aériens du caribou au-dessus et autour du lot de concessions minières durant les hivers de 1996 et 1997 et elle a effectué d'autres relevés en 1998. Elle a aussi fait des études sur le terrain dans cette zone pour déterminer le degré d'utilisation de l'habitat et les habitudes de déplacement des caribous.

Le secteur du projet est situé dans l'aire d'activités du troupeau de la rivière George, qui couvre une bonne partie du Nord du Labrador et du Québec. Le troupeau de la rivière George est actuellement le plus important au monde, comptant selon de récentes estimations au moins 675 000 têtes. Certains biologistes croient que le troupeau entame une longue période de déclin. Le lot de concessions minières, qui représente moins de 0,1 pour cent du territoire du troupeau, est situé en bordure de ce territoire et n'est pas utilisé comme aire de mise bas ou de rut. On considère la zone comme un bon territoire d'hiver. En effet, à certaines périodes, et en particulier ces dernières années, des caribous ont passé l'hiver dans la région de la baie Voisey. Lorsque la population du troupeau était la baisse, on observait rarement le caribou dans le territoire du lot de concessions et les régions adjacentes. En 1996, 8 000 à 10 000 bêtes (soit plus de un pour cent du troupeau) qui avaient passé l'hiver dans la région se sont rassemblées en avril dans le secteur est du lot, pour ensuite traverser, au moment de la migration printanière, la zone du projet d'est en ouest vers les aires de mise bas. Ces mouvements ne se produisent pas tous les ans, et les biologistes ne croient pas que les caribous soient fidèles à leur territoire d'hiver. Le lot de concessions minières n'est pas considéré comme un pâturage essentiel au caribou, mais il pourrait offrir dans les conditions actuelles une voie migratoire printanière importante pour le troupeau. De l'avis de la VBNC, les caribous qui se retrouvent sur les banquises et les îles en hiver n'ont pas d'itinéraire précis et pourraient éviter ou contourner sans difficulté un chenal de navigation.

Selon la VBNC, les effets éventuels du projet sur le caribou seraient les suivants :

Dégradation ou perte de l'habitat

Les travaux de construction auraient pour effet de détruire une partie apparemment non essentielle des aires d'alimentation et de repos du caribou, tandis que les activités d'exploitation pourraient perturber les déplacements locaux de certaines bêtes qui passent l'hiver dans la zone du lot de concessions. On ne croit pas que les routes et les autres aménagements nécessaires la réalisation du projet entravent les déplacements des caribous durant la migration printanière, car ces animaux s'adaptent facilement et peuvent emprunter d'autres voies migratoires. Les activités de navigation hivernale pourraient perturber les déplacements des bêtes sur les banquises, mais le problème ne devrait pas se poser à la fin de l'hiver, ni durant la période printanière de rassemblement et de migration.

Perturbation due au bruit et à la présence humaine

Le bruit et la présence humaine dérangeraient moins le caribou que la dégradation de l'habitat et dureraient moins longtemps. Le caribou s'adapterait aux situations répétitives.

Événements accidentels

Un incendie de forêt détruirait l'habitat, mais la majeure partie des pâturages ne brûlerait pas ou se régénérerait rapidement. Les incendies, de même que les collisions avec des véhicules, pourraient causer la mort d'un certain nombre de bêtes.

Selon la modélisation des contaminants (chapitre 7), la bioaccumulation de métaux chez le caribou ne constitue pas un effet nuisible éventuel.

La VBNC a proposé des mesures en vue de réduire au minimum les perturbations qui seraient causées aux caribous traversant la zone du lot de concessions ou le chenal de navigation :

  • repérer des voies permettant de traverser d'est en ouest les routes d'accès, les chemins d'exploitation et les pipelines;
  • construire des pentes et des rampes régalées aux intersections cruciales et limiter à ces endroits les accumulations de neige causées par les chasse-neige;
  • relever ou enfouir les pipelines aux points d'intersection critiques, selon les situations;
  • réduire la circulation sur les routes, voire l'interdire entièrement, durant la migration printanière et imposer des limites de vitesse;
  • suspendre les activités du brise-glace au début du printemps.

La VBNC a également déclaré qu'elle surveillerait les déplacements des caribous sur le territoire du lot de concessions pour réduire les interactions.

La VBNC prévoit que le projet aura les effets résiduels suivants :

  • effets mineurs (non importants) causés par les travaux de construction et les activités d'exploitation;
  • effets négligeables (non importants) dus à la désaffectation de la mine et aux événements accidentels.

La VBNC ne prévoit pas que la réalisation du projet aura des effets nuisibles sur les populations de caribous de la région.

12.2.2 Préoccupations du gouvernement et de la population

La Direction générale des forêts et de la faune de la province s'est dite préoccupée au sujet de l'interaction du caribou avec l'infrastructure du projet, en particulier la piste d'atterrissage, et a proposé comme mesure d'atténuation l'érection d'une clôture ou la mise en place d'un mécanisme de surveillance visuelle efficace.

Bien qu'il ne rejette pas la caractérisation de la biologie du troupeau faite par la VBNC, un spécialiste représentant la nation Innu a mis en doute certaines des interprétations et des conclusions de l'entreprise. Il a produit des données indiquant que le lot de concessions minières et la région environnante pouvaient constituer une partie importante de l'aire d'activités du troupeau. Il n'a pas avancé d'hypothèse précise ce sujet, soutenant cependant que la question méritait d'être étudiée plus à fond. Il a également affirmé que le manque de fidélité à la zone n'en diminue pas pour autant l'importance, mais fait plutôt ressortir la difficulté de déterminer les effets des activités du projet sur les populations de caribous. Il souligne en outre les incertitudes et l'absence de consensus dans la littérature au sujet des effets des perturbations et de la capacité d'adaptation du caribou à ces perturbations. Enfin, il est d'avis qu'on ne possède pas suffisamment de connaissances théoriques et pratiques pour pouvoir prédire les effets qu'aurait le chenal tracé par le brise-glace sur les déplacements des caribous sur la banquise côtière. Au c ur de son désaccord avec la VBNC réside l'interprétation qu'il fait du principe de prudence. Il soutient que, de manière générale, l'hypothèse initiale doit être que le projet causera des dommages à l'environnement et que cette hypothèse ne peut être infirmée que sous le poids de preuves démontrant le contraire.

Les participants Innu et Inuit ont fait part de leurs inquiétudes concernant l'exposition éventuelle des caribous aux contaminants qui s'échapperaient des bassins à résidus, ainsi qu'à la poussière causée par les activités d'exploitation. Des caribous sont morts après s'être empêtrés dans des fils laissés sur le sol une fois les activités d'exploration minière terminées. Certains pensent que les caribous éviteront la zone du projet, que les populations seront moins nombreuses ou moins en santé. La navigation hivernale pose un problème particulier. Les voies ouvertes dans les glaces, qui dans certaines conditions ne regèleraient pas rapidement, pourraient faire obstacle à la migration ou même être cause de mortalité si les caribous essayaient de les traverser à la nage, car ils seraient incapables de sortir des eaux profondes. Les spécialistes Inuit affirment que le caribou migre du nord au sud, ainsi que d'est en ouest sur les banquises.

Conclusions et recommandations

La commission note qu'il n'y a pas de désaccord total avec les données factuelles présentées par la VBNC, mais que certains en font une interprétation différente. La commission considère que le lot de concessions minières constitue un petit secteur non essentiel du territoire du troupeau de la rivière George. Comme l'emplacement proposé pour le projet est à la fois isolé et peu étendu, il n'est pas nécessaire d'aménager une importante infrastructure linéaire de transport qui pourrait faire nettement obstacle la migration ou faciliter l'accès du public au troupeau. Selon le pire des scénarios, que la commission juge peu probable, les mesures d'atténuation seraient inefficaces et la péninsule située entre les baies Anaktalak et Voisey serait effectivement perdue comme habitat du caribou. Même si cette éventualité survenait, elle ne se traduirait pas nécessairement par un effet mesurable sur les populations de caribous, en particulier si le troupeau amorce une longue période de déclin, mais elle léserait sans doute les chasseurs de la région. La perte d'habitat serait prolongée, mais non permanente, surtout si les mesures de remise en état s'avèrent fructueuses.

La commission constate que les activités du projet qui s'inscriront dans l'environnement terrestre ne sont pas sans précédents et que leurs effets sur l'habitat du caribou ont déjà été étudiés. Il existe de nombreux exemples, certains datant de plusieurs décennies, d'activités industrielles réalisées dans les aires d'activité des caribous de la région circumpolaire. Ces activités ont parfois provoqué du stress et des déplacements de population, mais on note aussi des cas où les troupeaux se sont adaptés. La commission ne connaît pas de situation où les effets nuisibles à long terme sur les populations animales sont clairement attribuables à des activités industrielles comme celles qui sont prévues dans le cadre du projet, dans la mesure où ces activités ne sont pas combinées à une chasse excessive. Toutefois, il se pourrait que la réalisation de plusieurs projets miniers ait des effets cumulatifs préoccupants, qui résultent principalement de la forte probabilité de fragmentation de l'habitat du troupeau.

Recommandation 54

La commission recommande que la province, l'Association des Inuit du Labrador et la nation Innu veillent à ce que les futures évaluations environnementales des grands projets situés dans le territoire du troupeau de caribous de la rivière George (dans le Labrador ou au Québec) portent particulièrement sur les effets cumulatifs d'une fragmentation de l'habitat.

La VBNC a proposé diverses mesures en vue d'atténuer les effets de l'aménagement d'installations terrestres linéaires sur le caribou. Ces mesures visent notamment la construction de routes et de pipelines adaptés, ainsi que la gestion de la circulation routière. La commission considère que de telles mesures sont en principe adéquates, mais qu'elles devront être réalisées et appliquées rigoureusement.

Recommandation 55

La commission recommande que la VBNC établisse, comme elle a proposé de le faire, des mesures d'atténuation pertinentes concernant les routes, les pipelines et les autres aménagements linéaires. Ces mesures doivent favoriser le libre déplacement des caribous et faire en sorte qu'ils ne puissent avoir accès à la piste d'atterrissage, grâce à l'érection d'une clôture si cela se révèle nécessaire. Elles doivent aussi être conformes aux meilleures pratiques en vigueur au moment où elles seront mises en uvre.

Recommandation 56

La commission recommande que la VBNC élabore un plan de protection de l'environnement pour le caribou; ce plan doit :

  • prévoir une surveillance régulière du caribou dans la zone du lot de concessions minières et les régions adjacentes, où les bêtes pourraient se rassembler ou migrer, selon les circonstances;
  • établir une série de mesures de plus en plus strictes en réponse la présence et aux déplacements de caribous près du site du projet, allant de la limitation de la vitesse et du volume de circulation sur les routes à l'interdiction totale de circuler durant la période de migration;
  • présenter des mécanismes permettant de surveiller l'efficacité des mesures d'atténuation de la VBNC à l'égard du caribou, d'en faire rapport et, au besoin, d'apporter des correctifs.

Les Innu et les Inuit trouvent offensant de voir des animaux blessés ou tués en raison d'activités humaines qui n'ont rien à voir avec la chasse, comme c'est parfois le cas lorsque l'on néglige de nettoyer complètement le site d'un projet d'exploration minière ou d'activités connexes.

Recommandation 57

La commission recommande que la VBNC, de même que les entrepreneurs et les sous-traitants qui travaillent pour elle, nettoie les lieux occupés et enlève immédiatement tout équipement utilisé pour des activités d'exploration ou autres effectuées à l'extérieur des sites clôturés du projet, que ce soit dans la zone du lot de concessions minières ou ailleurs dans le Nord du Labrador.

La commission considère qu'il est impossible, en raison d'un manque de renseignements, de déterminer avec certitude l'efficacité des mesures proposées en vue d'atténuer les effets de la navigation hivernale sur le caribou. La commission reconnaît que, bien que la VBNC puisse avoir prévu correctement que les effets du projet sur les populations de caribous seraient mineurs et négligeables, il se pourrait que les chasseurs soient lésés et que la navigation hivernale cause la mort d'un certain nombre de caribous. Les déplacements des caribous sur les banquises ainsi que les effets de la navigation sur leur comportement doivent être étudiés plus avant.

Recommandation 58

La commission recommande que la VBNC et l'Association des Inuit du Labrador mettent sur pied, dans le cadre de l'entente de transport maritime, un programme visant à surveiller et à réduire au minimum les effets de la navigation hivernale sur le caribou.

La commission note l'absence d'un mécanisme officiel de cogestion du troupeau qui pourrait servir à évaluer les effets du projet en relation avec les nombreux autres facteurs qui influeraient sur l'abondance et la santé du caribou, ainsi qu'à coordonner la prise de mesures adéquates cet égard. Ces aspects constituent des éléments de préoccupation légitimes pour les autres utilisateurs du troupeau de caribous de la rivière George.

Recommandation 59

La commission recommande que la province, l'Association des Inuit du Labrador et la nation Innu signent une entente de cogestion du troupeau de caribous de la rivière George avec le gouvernement du Québec et les utilisateurs autochtones québécois.

12.3 L'ours noir

12.3.1 Évaluation de la VBNC

La VBNC a choisi la région de Landscape comme secteur d'évaluation des effets du projet sur l'ours noir. Elle a eu recours au radio-pistage pour repérer les tanières et délimiter les domaines vitaux des ours, pour connaître leur utilisation de l'habitat et d'estimer l'abondance et la répartition de l'espèce. Les études sur le terrain ont été limitées à une superficie de 1 686 km² autour du lot de concessions minières.

Le site du projet se trouve dans l'habitat de l'ours noir, à proximité de plusieurs tanières actives. Selon le dénombrement qu'elle a effectué dans la région du ruisseau Reid, la VBNC estime que la densité de l'espèce se situe entre 0,45 et 0,52 ours par km² dans la vallée du ruisseau Reid, la vallée inférieure du ruisseau Ikadlivik et la vallée du ruisseau Kogluktokoluk, des zones boisées qui procurent des aires d'alimentation et d'hibernation importantes dans la région de Landscape. Ces densités relativement élevées (similaires à celles qu'on enregistre dans certaines parties de l'Alberta et du Montana) sont peut-être dues au fait que les ours ont été attirés par l'activité humaine aux installations de la VBNC et aux campements d'exploration. On croit que les densités d'ours à l'extérieur de ces secteurs sont beaucoup plus faibles. La VBNC estime que l'ensemble de la région de Landscape compte 2 200 ours noirs. Les individus capturés étaient en bonne condition physique. La VBNC décrit la population comme étant abondante et stable.

L'exploration minière des dernières années a été à l'origine de contacts plus fréquents entre l'homme et l'ours noir; on estime que le personnel des entreprises d'exploration minière a abattu au moins 50 ours en 1995 et 1996, ce qui représente une bonne proportion de la récolte annuelle maximale aux fins de la viabilité de la population. Durant la même période, la VBNC elle-même a signalé plus de 50 captures d'ours, la plupart se soldant par le transport des bêtes dans un autre secteur. L'abattage d'ours qui posent problème a diminué considérablement depuis 1996 et, au début de novembre 1998, aucune bête n'avait été tuée depuis le début de l'année. Cela est dû à la baisse des activités d'exploration, ainsi qu'à l'amélioration de l'entretien et du fonctionnement des campements, ce qui comprend la sensibilisation et la formation du personnel. La VBNC a organisé avec des représentants Innu des ateliers de formation sur la manière de procéder avec les ours noirs.

Selon la VBNC, les effets potentiels du projet sur l'ours noir seront les suivants :

  • Les contacts entre l'humain et l'ours augmenteront probablement en raison de l'intensification de la présence humaine et de l'attraction que la nourriture et les déchets exerceront sur les ours.
  • Les ours noirs éviteront peut-être les principales zones de forte perturbation par le bruit, notamment la mine à ciel ouvert et les carrières. Comme le dynamitage débuterait avant l'hibernation, les ours pourraient aménager ou occuper de nouvelles tanières plus loin. Des niveaux de bruit supérieurs à 100 dB (enregistrés dans un rayon d'environ neuf kilomètres de la mine à ciel ouvert) feraient vibrer le sol, ce qui pourrait provoquer l'effondrement de tanières et, par conséquent, la mort d'oursons. On a repéré cinq tanières qui pourraient être touchées de cette façon. Le bruit causé par le transport aérien pourrait inciter un certain nombre d'ours à fuir le secteur ou à l'éviter à court terme, mais on ne s'attend pas à ce qu'il provoque des effets mesurables sur la physiologie ou le processus de reproduction.
  • Le projet perturberait moins de trois pour cent des aires d'hibernation de prédilection et 0,5 pour cent des landes servant de zones d'alimentation. Les ours s'adaptent facilement et éviteraient ces secteurs. Il pourrait en résulter un réaménagement des domaines vitaux des individus, mais aucun effet sur la densité de population.
  • Les événements accidentels tels que les incendies, les bris de pipeline, les ruptures de digues ou les déversements de contaminants pourraient détruire l'habitat, mais on sait que le feu a parfois pour effet de renouveler ou d'améliorer l'habitat de l'ours.

Selon la modélisation des contaminants (chapitre 7), la bioaccumulation de métaux chez l'ours noir n'est pas considérée comme un effet nuisible potentiel. Les effets cumulatifs d'une intensification de l'exploration minière dans la région de Landscape pourraient se traduire par des contacts plus fréquents entre l'humain et l'ours et un nombre plus élevé de bêtes abattues parce qu'ils posaient problème.

La VBNC a proposé les mesures d'atténuation suivantes :

  • recenser et protéger les secteurs vulnérables de l'habitat de l'ours, en particulier les tanières actives;
  • améliorer les méthodes d'entreposage de la nourriture et de gestion des déchets, sensibiliser et former le personnel plus efficacement et équiper le personnel travaillant loin des campements de dispositifs avertisseurs;
  • installer des clôtures électriques autour des installations du projet qui exercent un attrait particulier sur les ours, après consultation des représentants Innu et des agents de la faune;
  • limiter la circulation sur route et hors piste;
  • tenir un registre des contacts avec les ours et des mesures prises, en conformité avec le plan de protection de l'environnement.

La VBNC prévoit que le projet aura les effets résiduels suivants :

  • effets mineurs (non importants) causés par les travaux de construction et les activités d'exploitation;
  • effets négligeables (non importants) dus à la désaffectation de la mine;
  • effets mineurs (non importants) liés aux événements accidentels.

12.3.2 Préoccupations du gouvernement et de la population

La Direction générale des forêts et de la faune de la province a reconnu que les mesures d'atténuation qui avaient été appliquées avaient permis d'améliorer la situation concernant les ours qui posent problème. Elle recommande toutefois d'assurer une formation continue et adaptée sur le sujet et de tenir un registre de tous les ours capturés sur l'emplacement du projet. Elle rappelle également que les ours déplacés ont souvent tendance revenir dans leur territoire d'origine, même si on les a transportés très loin. Il importe donc en premier lieu de faire en sorte qu'ils ne deviennent pas un problème.

Selon un spécialiste qui représentait la nation Innu, on a surestimé la densité de population de l'ours. Il a soutenu que l'importance locale de la zone n'a pas été bien établie et a souligné, de concert avec un collègue de l'Association des Inuit du Labrador, que la surveillance démographique et environnementale de l'ours noir est en soi difficile. Selon lui, la perte permanente (ou à long terme) d'« au moins » cinq tanières, combinée aux abattages de défense, représente un effet modéré, et non mineur, car elle modifierait l'abondance ou la distribution de cette partie de la population durant au moins une génération.

Les participants ont avancé des points de vue différents concernant la productivité de la région de la baie Voisey, son utilité en tant que milieu source ou récepteur et les effets sur la population d'ours d'une perturbation accrue et de l'abattage d'individus indésirables sur le site ou dans les environs. Cependant, tant les Innu que les Inuit affirment que l'ours noir a toujours été fort répandu dans la région de la baie Voisey, en raison de l'abondance de la nourriture disponible. Ils questionnent par ailleurs l'abattage des ours dits indésirables, pour des raisons à la fois écologiques et éthiques.

Conclusions et recommandations

La commission en conclut que les connaissances actuelles ne permettent pas de définir adéquatement la population régionale d'ours noirs. On sait peu de choses sur la population d'ours de la région de Landscape (par opposition à la zone d'évaluation proprement dite) car aucune étude pertinente n'a encore été réalisée. La VBNC est d'avis que les estimations de population régionale sont la responsabilité de l'organisme responsable de la gestion de la faune, et la commission partage ce point de vue. Cependant, comme on manque de données sur la région de Landscape et que la zone du projet a peut-être été un milieu récepteur en raison du phénomène d'attraction qui s'est exercé durant la période d'étude, il est difficile de dire dans quelle mesure les densités observées dans le secteur d'évaluation sont représentatives de la situation réelle. Par conséquent, la commission considère qu'on ne possède pas suffisamment de données de base pour pouvoir prédire les effets de l'abattage, en dépit de la mise en uvre de toutes les mesures d'atténuation, des ours qui posent problème, même s'il s'agit d'un nombre relativement peu élevé.

Recommandation 60

La commission recommande que la province entreprenne ou parraine d'autres études pour établir les caractéristiques, l'abondance, l'organisation, la dynamique et les exigences fondamentales du cycle biologique de la population d'ours noirs, pour assurer la pertinence et l'efficacité des stratégies de gestion adaptées aux ours noirs. La nation Innu et l'Association des Inuit du Labrador devraient participer à la conception et à la réalisation de ces études, qui devraient être sujettes à l'examen et aux recommandations du Conseil consultatif de l'environnement.

Il est impossible d'affirmer avec certitude laquelle des deux possibilités que sont l'évitement de la zone par les ours et l'attraction qu'exerce sur eux l'activité humaine influera le plus sur la population locale d'ours noirs. On ne sait pas non plus si le transport d'ours vers de nouveaux secteurs compenserait leur déplacement à l'extérieur de la zone du projet, en particulier si les tanières abandonnées se trouvent dans un habitat d'importance effectivement perdu pour la durée de vie totale du projet. Le simple fait de repérer et d'éviter la perturbation des zones cruciales près de l'emplacement du projet ne donnera rien si les ours les abandonnent cause du bruit. On constate par conséquent que l'accroissement de l'activité humaine pourrait graduellement décimer la population d'ours dans le secteur du projet. La commission reconnaît qu'un tel dépeuplement constituerait une atteinte aux droits et aux intérêts des chasseurs Innu et Inuit.

La commission souligne toutefois que ce n'est pas la première fois que se dérouleraient dans des territoires occupés par l'ours noir des activités industrielles comme celles que propose la VBNC. Rien n'indique que de telles activités entraînent clairement ou habituellement des baisses de population. La commission observe avec plaisir que la VBNC a considérablement amélioré ses méthodes de fonctionnement de façon à éviter les contacts avec les ours noirs. La commission considère que les mesures proposées par la VBNC relativement à la gestion des campements et la sensibilisation du personnel sont en principe adéquates, mais qu'elles devront être réalisées et appliquées rigoureusement. La commission est en outre d'avis que les parties concernées doivent mettre sur pied un programme de surveillance.

Recommandation 61

La commission recommande que la VBNC élabore un plan de protection de l'environnement relativement aux ours noirs; ce plan doit :

  • poursuivre la mise en uvre et l'amélioration des mesures concernant l'entreposage de la nourriture et la gestion des déchets, la limitation de la circulation sur route et hors piste, ainsi que la formation du personnel;
  • prévoir, au besoin, l'installation de clôtures électriques autour des installations du projet;
  • assurer la surveillance régulière de la présence des ours noirs et des activités d'hibernation;
  • établir un protocole visant à empêcher les contacts avec les ours et leurs tanières durant les activités du projet, par le déplacement des bêtes ou la réduction ou la suspension temporaire des activités, selon les circonstances.