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Rapport de la Commission d'évaluation environnementaledu projet de mise en valeur Terra Nova

4.0 Impact de l'environnement sur le projet

4.1 Aperçu

L'environnement physique et plus particulièrement les régimes océanique et atmosphérique et le régime des glaces qui dominent les Grands Bancs représentent de formidables défis pour les promoteurs. Les ingénieurs d'études ne sauraient sous-estimer sans danger la force du vent, des courants océaniques, des vagues, des glaces à la dérive et des icebergs qui malmèneront les éléments flottants et sous-marins du système de production pétrolier. Il est impératif que les concepteurs veillent à ce que leurs données environnementales soient aussi complètes que possible; que leurs analyses du risque soient approfondies et qu'en cas d'erreur, il pèchent plutôt par excès de prudence. En cas d'échec, la vie des personnes serait en danger et une catastrophe environnementale pourrait se produire.

4.2 Le vent et les conditions météorlogiques

L'étude d'impact environnemental tire ses renseignements de base concernant la nature des conditions météorologiques des Grands Bancs de l'étude d'impact réalisée pour Hibernia en 1985 qui s'inspirait elle-même d'études menées au début des années 1980. Certaines informations plus récentes ont été incluses, notamment celles découlant du Programme canadien d'étude des tempêtes dans l'Atlantique (CASP), Phases I et II, de même que de l'expérience relative à la formation de cyclones atlantiques (GALE) et de l'expérience sur les cyclones à développement rapide sur l'Atlantique (ERICA). De façon générale, les données climatiques sont tirées des archives du Service de l'environnement atmosphérique d'Environnement Canada (SEA), conservées au Centre météorologique régional de l'Atlantique de Bedford en Nouvelle-Écosse et au Centre climatologique canadien de Downsview, en Ontario. Ces séries de données, dont certaines remontent au début du XIX e siècle et certaines se poursuivent jusqu'en 1995, incluent des observations horaires des conditions météorologiques de certaines stations locales, donnant parfois des prévisions sur les vagues, le vent, la couverture de glaces, les températures de l'air et de l'eau, la pression atmosphérique et les trajectoires des tempêtes provenant des données météorologiques des stations maritimes ou côtières et condensées par le Marine Statistics System. Bien que répertoriées comme si elles constituaient une série de données détaillées océan-atmosphère, certaines données, tirées des archives du Service de l'environnement atmosphérique de Downsview et également du US Pacific Marine Environmental Laboratory de Seattle, n'incluent pas toutes les observations faites en mer par les Canadiens depuis 1988. En outre, pour les données recueillies depuis la fin des années 1980, les statistiques se limitent aux moyennes mensuelles. Mais la base de données environnementales Terra Nova des promoteurs est d'une importance considérable et comprend des données sur la température, la vitesse et la direction des vents, la pression atmosphérique et les variations, recueillies par les navires du secteur pétrolier et du gouvernement en activité ou de passage dans les régions Terra Nova et Hibernia des Grands Bancs.

Somme toute, on peut dire que les promoteurs ont utilisé les meilleures données disponibles pour préparer leur étude d'impact environnemental. Ajoutons cependant que les connaissances actuelles ne sont en rien définitives et que, en ce qui a trait aux prévisions, la science n'est nullement exacte.

Les bases de données renferment des éléments de diverses provenances dont la valeur réelle varie également, allant des observations relativement brutes faites par des observateurs non formés utilisant des dispositifs de mesure imprécis jusqu'aux mesures prises avec soin par des scientifiques ou des technologues qualifiés utilisant un matériel sophistiqué. Avant le début des activités d'exploration sur les Grands Bancs, la plupart des renseignements climatologiques de la région étaient fournis par des navires auxiliaires occasionnels. Il s'agissait par conséquent de données quelque peu aléatoires tant en ce qui a trait aux heures qu'à la qualité des relevés. L'utilité de ces données est encore compromise par le fait que les navires transocéaniques, bien qu'ils suivent en général les routes maritimes habituelles, évitent dans la mesure du possible les intempéries et la glace. Les flottilles de pêche de différents pays qui se rendaient régulièrement sur les Grands Bancs ne relevaient pas systématiquement les données météorologiques. Dans quelques années, il sera possible de recueillir systématiquement les données supplémentaires fournies par la plate-forme Hibernia et les installations de forage de la région.

Néanmoins, il est clair, comme les promoteurs l'ont reconnu, que la région océanique au sud et à l'est de Terre-Neuve est «la zone cyclonique la plus active d'Amérique du Nord et des océans voisins». Les données présentées dans l'étude d'impact environnemental indiquent clairement que la vélocité du vent dans la région de Terra Nova est toujours plus élevée que ne l'indiquent les relevés des stations terrestres les plus proches. En moyenne, une tempête tropicale importante passe tous les ans à 300 kilomètres au large de la côte terre-neuvienne, traversant la zone de Terra Nova, tandis que des tempêtes moins courantes, mais encore plus violentes, suivent la même trajectoire. En fait, les promoteurs reconnaissent que le projet sera situé dans l'un des environnements les plus hostiles de la planète, tant pour les conditions météorologiques que pour l'état de la mer.

Les calculs de la vitesse du vent atteinte dans des conditions exceptionnelles au-dessus du gisement Terra Nova semblent adéquats dans le contexte des données dont on dispose. Les calculs Det Novake Ventas pour les facteurs de rafale, tels qu'ils sont appliqués dans l'analyse Seaconsult semblent corroborer les études récentes de la vélocité du vent et des facteurs de rafale conduites au large de la côte est du Canada, mais pas précisément sur les lieux du gisement Terra Nova. Les programmes de recherche CASP-I et II, GALE et ERICA ont enrichi considérablement la connaissance des phénomènes physiques qui sont à l'origine des grandes tempêtes qui contournent la côte de Terre-Neuve. Ces études et d'autres études récentes ont également accru la connaissance et la compréhension des variations d'échelle régionales des vents au nord des Grands Bancs sous l'influence, par exemple, de glaces à la dérive.

En dépit de ce fonds de connaissances qui ne cesse de grossir, il est encore possible d'améliorer les techniques d'observation et les compétences en matière de prévision opérationnelle. Le repérage rapide des tempêtes imminentes, en particulier les violentes tempêtes d'hiver qui résultent du creusement dangereux des circuits basse pression, peut être amélioré par des observations attentives de surface, la télédétection et les modèles de prévision numérique. Heureusement, les promoteurs sont pleinement conscients de la nécessité de raffiner les prévisions opérationnelles, en particulier en ce qui a trait aux phénomènes météorologiques violents. Ils comptent sur le SEA pour obtenir ces améliorations, puisque ce dernier promet au minimum une plus grande exactitude des prévisions des champs de vent à l'avenir.

Il ressort des audiences conduites par la Commission que, aux yeux du public, l'étude d'impact environnemental des promoteurs était dans l'ensemble jugée satisfaisante en ce qui concerne l'impact du vent sur le projet. Très peu de questions ont été posées à cet égard et pour celles qui ont été posées, par Environnement Canada par exemple, la réponse a été satisfaisante.

Néanmoins, les promoteurs ne doivent pas se reposer en toute chose sur le SEA. La surveillance permanente des conditions météorologiques sur les lieux de la production, en collaboration avec le SEA ajoutera une dimension importante aux activités de collecte des données de l'organisme. De plus, étant donné que la prévision exacte des conditions météorologiques constitue une préoccupation majeure à la fois pour la sécurité des personnes et pour la sécurité des installations et de la production, la Commission est convaincue qu'un programme spécialisé de prévention comportant un volet recherche devrait être partie intégrante du projet.

Recommandation 33:

La Commission recommande que le projet Terra Nova devienne, en collaboration avec le Service de l'Environnement Atmosphérique d'Environnement Canada et la plate-forme Hibernia, un centre important de collecte de données météorologiques à la fois pour étoffer et améliorer les séries de données actuelles et pour aider à repérer très tôt les violentes tempêtes qui risquent de survenir. Elle recommande en outre qu'un programme météorologique concerté comportant un volet recherche soit conçu et mis en œuvre pour raffiner les techniques d'observation et les prévisions opérationnelles.

Parmi les autres phénomènes météorologiques pouvant avoir une incidence sur le projet, mentionnons les orages, même s'ils sont relativement rares dans cette région; le brouillard, qui présente un risque en toute saison; les pluies verglaçantes et le givre qui, au cours de l'hiver et du printemps, ne cessent de représenter un risque pour les navires et les aéronefs.

Comme le projet Terra Nova inclut des navires, qu'il s'agisse de bâtiments stationnaires ou en mouvement, de même que des hélicoptères, et que le champ pétrolifère se trouve à proximité de l'orthodromie, une des principales routes transatlantiques, et dans une région fréquemment traversée par des bateaux de pêche, la présence d'épais brouillards doit inciter à la vigilance. Dans un tel milieu, le prix de la sécurité est une éternelle vigilance dans le contexte d'un programme de surveillance et de contrôle du trafic maritime et aérien conçu avec soin en collaboration avec la Garde côtière canadienne et les autres autorités compétentes.

Recommandation 34:

La Commission recommande que les plans de mise en valeur incluent un programme de surveillance et de contrôle du trafic maritime établi en consultation avec la Garde côtière canadienne et d'autres autorités compétentes et prévoyant une série de protocoles afin d'éviter les collisions.

Les données disponibles en ce qui a trait à l'accumulation de glace sur les coques et les éléments de la superstructure des navires et des installations de production sont relativement dispersées et l'application au milieu extracôtier de Terre-Neuve des meilleurs modèles disponibles n'a pas été testée en bonne et due forme. On sait que le givre, conjugué à des vents violents, a toujours été très dangereux pour la navigation. Par conséquent, dans le contexte du projet, la Commission est convaincue que les mesures prises par les promoteurs pour atténuer ce risque devraient être associées à un volet de surveillance et un programme de recherche qui permettrait de raffiner les modèles existants et d'établir des prévisions de charge admissible fiables dans les conditions exceptionnelles prévues tout au long de la durée du projet.

Recommandation 35:

La Commission recommande que les mesures proposées par les promoteurs pour réduire les risques associés au givre ou à la glace en cas de pluie verglaçante soient associées à un programme de recherche conçu pour enrichir les connaissances actuelles et pour raffiner les modèles existants dans le but d'établir des prévisions de charge admissible complètement fiables pour les conditions exceptionnelles que l'on peut rencontrer dans la région du projet Terra Nova.

4.3 Les vagues

Les promoteurs reconnaissent qu'il leur faut «une bonne compréhension du régime moyen et extrême des vagues dans la région de Terra Nova à l'appui de la conception des systèmes et de la planification opérationnelle». La Commission est satisfaite de l'analyse suffisamment complète des bases de données disponibles que renferme l'étude d'impact environnemental. En particulier, la série étendue de prévisions a posteriori sur les vagues, qui comprend actuellement 80 événements pluvio-hydrologiques, indique peu de changement par rapport aux estimations précédentes. Cependant, des vagues d'une grande amplitude se forment de temps à autre présentant un degré important de variabilité sur des échelles de temps de 10 ans ou plus. Dans ce contexte, les valeurs retenues pour des vagues d'une amplitude exceptionnelle découlant d'une période d'étude inférieure à une dizaine d'années ne sont pas toujours valables.

Toutefois, l'état de la mer et l'amplitude des vagues ne semblent pas préoccuper les membres du public qui ont comparu devant la Commission. Seule la Natural History Society a soulevé la question et ses observations ne portaient pas directement sur l'étude d'impact environnemental des promoteurs, mais reprenaient plutôt les observations des ministères de l'Environnement et des Pêches et des Océans faites en réponse à l'étude d'impact environnemental d'Hibernia. Nonobstant le fait que le grand public puisse être généralement satisfait de l'état de préparation des promoteurs face à des vagues d'une grande amplitude, la Commission pense que les critères de conception des navires qui seront sur place pendant 20 ans ou plus doivent de toute évidence tenir compte de la possibilité de vagues d'une amplitude extrême supérieure à celles prédites par le modèle actuel. Mentionnons également la nécessité d'une observation exacte et continue et d'une mise à jour régulière des bases de données sur les prévisions a posteriori des vagues.

Recommandation 36:

La Commission recommande que les promoteurs, en collaboration avec Environnement Canada et les autres organismes compétents, réunissent des données et mettent régulièrement à jour les bases de données sur les prévisions a posteriori des vagues.

Recommandation 37:

La Commission recommande que l'Office tienne clairement compte, dans les critères de conception des navires qui seront sur place pendant 20 ans ou plus, de la possibilité de vagues d'une amplitude extrême supérieure à celles prédites par le modèle actuel.

4.4 Les courants

En cas de déversements d'hydrocarbures sur les lieux de production ou à proximité, le type de dérive qui déterminera le taux et l'étendue dans l'espace de la dispersion est de toute évidence de la plus haute importance même si elle reconnaît que l'étude d'impact environnemental renferme un excellent sommaire détaillé de caractéristiques océanographiques de la zone entourant le champ pétrolifère Terra Nova, la Natural History Society conclut que ces «connaissances n'ont pas été prises en compte dans l'évaluation d'impact environnemental». Sa principale critique portait sur le fait que dans le modèle de dérive présenté pour l'étude, le courant du Labrador était apparemment absent, alors que l'on sait pertinemment que l'addition du flux océanique de ce courant a une incidence non négligeable sur les résultats de la modélisation. Si les prévisions des études mentionnées par la Natural History Society sont exactes lorsqu'elles indiquent qu'un déversement d'hydrocarbures dans la région de Terra Nova «dériverait vers le sud le long des flancs orientaux des Grands Bancs», on peut présumer que l'impact environnemental sera nettement différent si l'orientation de la dispersion n'est pas la même. De plus, la Commission est préoccupée de constater qu'en raison de l'extrême variabilité des courants de surface dans la région, il serait difficile de prévoir la façon dont le déversement se disperserait. C'est pourquoi la Commission recommande qu'un programme de surveillance des courants de surface devrait être établi dans le but d'enrichir le fonds de connaissances et d'améliorer à la fois l'évaluation de toutes les répercussions qu'aurait un déversement d'hydrocarbures dans la région du gisement Terra Nova et l'élaboration de plans d'urgence efficaces.

Recommandation 38:

La Commission recommande que les promoteurs soient tenus d'administrer un programme permanent de surveillance des courants de surface dans la région de Terra Nova pour améliorer la prévisibilité des modes de dispersion des hydrocarbures. La Commission recommande en outre que l'on envisage sérieusement d'intégrer les données découlant de la surveillance à la modélisation de la dérive.

4.5 Les glaces

La technologie d'ancrage de l'installation flottante a été éprouvée dans le milieu marin hostile de la mer du Nord. Toutefois, les glaces à la dérive et, plus particulièrement, les icebergs, ajoutent une dimension exceptionnelle de risque difficile à estimer tant aux systèmes flottants qu'aux systèmes sous-marins du champ pétrolifère Terra Nova.

L'étude d'impact a recours à des données recueillies au cours de 40 ans de reconnaissance aérienne par les organismes des gouvernements canadien et américain. Ces données ont été enrichis, et dans certains cas remplacées, par des images de satellites en orbite polaire transposées sur des cartes quotidiennes et hebdomadaires des glaces préparées par le Centre des glaces du SEA.

Les promoteurs se sont fiés aux observations faites par l'industrie pétrolière en mer au cours des années 1970 et 1980, de même qu'aux résultats de Pêches et Océans Canada et de la recherche du SEA appuyée par le Groupe interministériel de recherche et d'exploitation énergétiques.

Les données sur les icebergs proviennent également de la Patrouille internationale des glaces, qui a été créée par suite du naufrage du Titanic. Depuis 1989, Provincial Airlines Ltd (PAL) effectue des études aériennes selon un programme d'environ cinq jours, qui ont permis d'établir un procédé de dénombrement des icebergs à l'intérieur d'une zone quadrillée de 1 degré, plus simple que la modélisation complexe de la Patrouille internationale des glaces.

Les écarts importants observés entre les chiffres découlant des estimations de la Patrouille internationale des glaces et les dénombrements de PAL indiquent que des incertitudes demeurent, à la fois en ce qui a trait aux procédures de relevé et aux estimations employées. En ayant recours à une interprétation judicieuse des séries de données, les promoteurs sont satisfaits du critère de dénombrement applicable à la zone quadrillée de 1 degré où se trouve le projet Terra Nova. Néanmoins, il leur faut reconnaître que leurs conclusions n'ont rien d'absolu. Le taux de dérive et le taux de détérioration sont des facteurs troublants des équations de modélisation. En effet, un gros iceberg peut en l'espace d'un instant se fractionner en plusieurs bourguignons et bergy bits introduisant une erreur dans le dénombrement.

Naturellement, le dénombrement en soi ne dit rien des dimensions et de la vélocité des icebergs, non plus que de leur propension à l'érosion. Les données relatives à ces phénomènes sont réunies grâce aux programmes d'étude et de surveillance menés par l'industrie pétrolière au cours de l'exploration et des préparatifs en vue de la production. De plus, la recherche appuyée par le Groupe interministériel de recherche et d'exploitation énergétique et par le Fonds pour l'étude de l'environnement enrichit les connaissances disponibles.

Tout le monde sait combien la trajectoire des icebergs est difficile à prédire. Ils sont soumis aux influences des principaux courants océaniques, des courants de marée, des vents et des courants qu'ils provoquent. Les dimensions et la forme des icebergs, les glaces à la dérive parmi lesquelles ils se déplacent ainsi que les coefficients de frottement de l'air, de l'eau et du fond ont également une incidence sur la capacité de prévision. En conséquence, les valeurs prévisionnelles fondées sur les valeurs prévues du vent et des courants sont en soi légèrement suspectes. Les meilleures estimations sont celles qui découlent de données en temps quasi réel et actuelles de la zone immédiate dans laquelle l'iceberg se déplace. Cela signifie que la capacité de réunir des données en temps réel pour une application instantanée ajoute une dimension empirique non négligeable à la capacité prévisionnelle.

La Commission est convaincue que le problème de l'érosion des icebergs a été traité de manière adéquate dans l'étude d'impact environnemental même si certaines incertitudes demeurent quant aux données disponibles et aux analyses qui en découlent, et que les profondeurs indiquées pour les entonnoirs souterrains et les tranchées laissent suffisamment de jeu pour assurer la sécurité des têtes de puits et des conduites d'écoulement.

Dans l'esprit du public, les icebergs, les bourguignons, les bergy bits et les glaces à la dérive représentent le risque le plus important lié à la mise en valeur du champ pétrolifère. Dans son exposé à la Commission, un participant s'est concentré sur les possibilités de collision des glaces avec les éléments flottants du système de production. Il jugeait que l'étude d'impact environnemental était trop optimiste en ce qui a trait à la capacité de détecter, de surveiller et de gérer la glace et de «prévoir le déplacement rationnel et ordonné des installations au cas où un iceberg impossible à gérer qui présente un danger s'approcherait trop près». Son raisonnement reposait sur le postulat qu'on ne peut gérer la glace; que la dérive des icebergs est extrêmement difficile à prédire, sinon impossible; que l'on retrouve parfois quelque 200 icebergs dans la région de Terra Nova et que, dans de tels cas, il est extrêmement difficile, voire impossible, de choisir ceux dont on assurera la gestion; que le calcul d'une lisière médiane des glaces au sud est de peu d'intérêt; que les bourguignons et les bergy bits sont pratiquement indécelables dans les creux de vague que l'on connaît couramment à Terra Nova, mais n'en sont pas moins dangereux pour les navires. Enfin il faisait remarquer que l'étude d'impact environnemental ne prévoit aucune disposition concernant la «gestion» de ces bourguignons et bergy bits alors que de telles montagnes de glace sont non seulement difficiles à déceler longtemps à l'avance, mais pratiquement impossibles à faire dévier de leur route. À l'appui de son argument, le participant citait 52 incidents importants qui se sont produits au large de la côte est du Canada depuis 1980 dans le cadre des activités de prospection et d'exploitation pétrolières. Sur les 52 incidents, 10 avaient trait à la gestion des glaces ou avaient pour but d'éviter la collision. Mentionnons que la glace n'a entraîné d'autre perte que des pertes de temps.

Dans son mémoire, la Natural History Society de Terre-Neuve et du Labrador faisait écho à ces préoccupations et contestait systématiquement les méthodes statistiques appliquées dans l'étude d'impact environnemental, en faisant valoir que les données utilisées ont été recueillies pour des usages pratiques plutôt que scientifiques, de sorte que certains résultats ne peuvent être scientifiquement contrôlés. Elle déplorait que les moyennes soient indiquées sans écart standard et faisait remarquer que dans d'autres séries de données on avait omis de mentionner l'importance considérable des moyennes spatio-temporelles. Environnement Canada a conclu également pour sa part que le plan de gestion des glaces suppose que l'on est capable de prévoir le mouvement des icebergs, ce qui reste encore à démontrer à sa satisfaction. Le ministère a également exprimé des réserves en raison de la possibilité que le changement climatique soit à l'origine de la présence d'un plus grand nombre d'icebergs dans la région du projet.

La Commission est impressionnée par le degré de confiance manifesté par les promoteurs en ce qui a trait à leur capacité de gérer les icebergs sur les lieux de production. Toutefois, le public a la ferme impression qu'ils ont pu sous-estimer les difficultés et les risques potentiels.

Compte tenu des risques reconnus et des difficultés que présente l'analyse des bases de données disponibles, il y a lieu d'entreprendre une étude permanente des conditions des glaces et des trajectoires des icebergs dans la région de Terra Nova et de trouver de meilleurs moyens de repérer et de suivre les bourguignons et les bergy bits d'envergure. Cela implique la mise en œuvre d'un programme permanent d'observation et de recherche qui débouchera sur l'amélioration des dispositifs radars et autres dispositifs de télédétection et rendra possible la détection rapide des masses de glace flottantes, même lorsqu'elles sont peu élevées. Ce programme doit être un élément important du plan opérationnel. En outre, une vérification de l'efficacité du plan de gestion des glaces des promoteurs par un tiers serait utile pour valider l'optimisme des promoteurs et atténuer les préoccupations du public.

Bien que l'analyse des données sur les glaces marines figurant dans l'étude d'impact environnemental ait attiré des critiques similaires de la part du public, aucun des participants n'a jugé le problème aussi important que le problème des icebergs, des bourguignons et des gros bergy bits. Néanmoins, les montagnes de glace dure vieilles de plusieurs années représentent une menace pour l'intégrité des coques de l'installation flottante, des pétroliers et des navires ravitailleurs. Dans la conception des navires destinés au projet, il y a lieu de tenir pleinement compte de ce risque et de respecter intégralement les protocoles proposés en ce qui a trait à la double coque, au renforcement contre les glaces, au recrutement d'équipages canadiens et aux navires battant pavillon canadien. En outre, tous les équipages des navires doivent être dûment formés et les marins doivent être titulaires d'un certificat en procédures de sécurité et d'urgence maritimes. À cette fin, il est nécessaire de prendre des dispositions pertinentes avec les établissements de formation de la province.

Les installations de Terra Nova se trouveront aux prises avec de dangereuses glaces à la dérive et la seule forme adéquate de gestion «consiste à les éviter». Il importe de souligner la mise en garde de la Natural History Society indiquant que les glaces à la dérive dans la zone Flemish Pass, immédiatement à l'est des Grands Bancs, pourraient bien envahir rapidement le gisement de Terra Nova en cas de forts vents d'est. La Commission est convaincue que le plan de gestion des glaces devrait clairement définir les circonstances dans lesquelles il faudra débrancher et déplacer tous les navires de surface pour gagner des lieux plus sûrs.

Recommandation 39:

La Commission recommande que le plan de gestion des glaces:

  1. tienne compte de la difficulté de prédire la trajectoire des icebergs et prévoie l'acquisition de données adéquates en temps réel qui pourront ajouter un élément pragmatique important aux projections découlant de la modélisation;
  2. indique clairement la procédure à suivre pour choisir les icebergs dont on assumera la gestion, en les remorquant, par exemple quand plusieurs icebergs se trouvent dans la région immédiate;
  3. reconnaisse que les collisions avec des petits bourguignons et des bergy bits sont indubitablement des risques pour la navigation;
  4. inclue une procédure pour le repérage et la gestion en temps opportun des bourguignons constituant une menace;
  5. reconnaisse la possibilité d'une augmentation considérable du nombre d'icebergs au-delà du 48 eparallèle en raison du réchauffement planétaire;
  6. inclue une disposition prévoyant la vérification par un tiers de son efficacité;
  7. établisse clairement une série de protocoles qui détermineront les conditions qui dicteront le débranchement et le départ de tous les navires de surface vers des lieux plus sûrs;
  8. inclue un programme permanent d'observation et de recherche qui débouchera sur l'amélioration des dispositifs radars et autres dispositifs de télédétection et rendra possible la détection rapide des masses de glace flottante, même en faible volume.

Recommandation 40:

La Commission recommande que dans la conception des navires du projet, il soit clairement tenu compte du risque que constituent pour l'intégrité de la coque les bourguignons et les bergy bits et que ces navires satisfassent aux normes les plus élevées pour la navigation dans les glaces, comme le demandent les autorités compétentes.

Recommandation 41 :

La Commission recommande que les équipages des navires soient adéquatement entraînées et diplômées dans les domaines de la sécurité et des procédures d'urgence en mer et que les promoteurs coordonnent une telle formation avec les établissements d'enseignement de la province.

4.6 Effet concomitant de conditions exceptionnelles

L'une des préoccupations soulevée à plusieurs reprises par des membres du public a trait à la coïncidence possible de conditions exceptionnelles vents violents, creux de vague d'une amplitude exceptionnelle et menace extrêmement grave des icebergs ou blocage dans les glaces des installations de forage. Dans le contexte d'une analyse du risque, il est évident qu'un tel scénario représente un degré de probabilité tout à fait faible. Néanmoins, il faut tout de même en tenir compte et cette possibilité doit être matière à réflexion.

Dans des conditions exceptionnelles de mer et de vents extrêmement violents, la gestion des icebergs serait, dans l'état actuel de la technologie, une impossibilité. Il s'ensuit, par conséquent, que le plan de gestion des glaces doit adopter une politique qui élimine la possibilité qu'une telle crise se produise. Cela implique non seulement un programme de surveillance efficace et une capacité de prévision absolument fiable des conditions des vents et de la mer, mais également un processus décisionnel bien conçu et bien compris qui assurera le départ en temps opportun de l'installation flottante et de navires de soutien de la région.

Recommandation 42:

La Commission recommande que la planification opérationnelle inclue la possibilité que deux événements à récurrence de 100 ans se produisent en même temps, y compris la conjugaison d'une mer démontée, de vents violents et de la présence de glace. Le plan établi doit inclure un processus décisionnel bien conçu et bien compris pour le départ en temps opportun de l'installation flottante et des navires de soutien de la région.

4.7 Structures de commandement

Tous ces éléments demandent une structure de commandement soigneusement conçue qui ne laisse place à aucune ambiguïté et à aucune possibilité de malentendu en cas d'urgence.

Il est reconnu dans le droit maritime et en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada que les navires en mer sont sous l'autorité absolue du capitaine. Il est également reconnu, dans l'industrie pétrolière, qu'une plate-forme de production est sous le commandement du directeur des installations extracôtières. L'installation flottante qui sera utilisée pour l'exploitation du champ pétrolifère Terra Nova sera une plate-forme de production lorsqu'elle est amarrée au lieu et raccordée aux installations de production sous-marine et un navire une fois débranchée de ses installations et de ses ancrages.

Dans ce genre de situation paradoxale où une installation flottante devient un navire, puis cesse d'être un navire pour le redevenir ensuite, on ne peut nier la possibilité évidente et latente de conflit. On est à toutes fins pratiques en présence de deux autorités, et chacune d'entre elles exerce, de temps à autre, le commandement suprême et irréfutable. On peut faire valoir, naturellement, qu'il n'y a aucun conflit lorsque le navire est en marche car, dans ce cas, le capitaine exerce le commandement; il n'y aura aucun conflit non plus lorsque l'installation sera en mode de production c'est le directeur des installations d'exploitation qui sera alors aux commandes. Cela pourrait porter à croire qu'il n'y aura aucun moment où plus d'une seule personne assurera le commandement. En fait, la difficulté se situe au moment où il faut prendre la décision de détacher l'installation flottante de ses ancrages et de mettre le navire en marche. On pourrait supposer alors que le capitaine du navire est la personne la mieux qualifiée pour prendre une telle décision. Ce n'est pas le cas. Jusqu'à ce que la décision de débrancher l'installation soit réellement prise, la personne aux commandes est le directeur des installations d'exploitation.

Les promoteurs ont assuré à la Commission que des dispositions officielles et bien structurées seraient en place pour qu'il y ait une consultation appropriée entre les spécialistes de haut niveau de la production pétrolière et les spécialistes de la manœuvre du navire lorsque les conditions du vent et l'état de la mer ou des glaces seront particulièrement préoccupants. Dans des éventualités comme celles-là, face à des conditions de risque extrême, le premier facteur à considérer doit être la sécurité de l'installation, et plus particulièrement la sécurité de son équipage. Étant donné qu'à l'avis de la Commission le capitaine du navire est la personne la mieux en mesure d'apprécier les dangers imminents, d'interpréter les données météorologiques et sur l'état de la mer, et de déterminer comment le navire doit être préparé pour faire face à la tempête dans les meilleures conditions possibles, la Commission considère qu'en cas de divergence d'opinions quant à la nécessité de débrancher ou non, c'est la décision du capitaine qui l'emportera. La Commission reconnaît, naturellement, la possibilité que le directeur des installations extracôtières puisse être également un capitaine de navire qualifié ayant une expérience de la mer pertinente et que les postes de capitaine du navire et de directeur des installations extracôtières puissent être comblés par une seule et même personne. La Commission ne pense pas, cependant, que ce soit là une solution à retenir. Le stress des deux fonctions serait considérable et le stress supplémentaire de devoir prendre une décision dans une situation de grave conflit entre des intérêts contradictoires pourrait bien être intolérable.

Recommandation 43:

La Commission recommande que le capitaine du navire soit en dernier recours responsable de la sécurité de l'installation et de son équipage dans toutes les situations où les conditions météorologiques ou l'état de la mer présentent des dangers. Il y a lieu de mettre en place un mécanisme permettant la consultation officielle et continue entre le capitaine et le directeur des installations extracôtières. Le capitaine du navire devrait être la personne habilitée, lorsqu'il y a lieu, à enclencher le protocole de débranchement du navire et de son acheminement en lieu sûr.